Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
L'actualité religieuse

Hélène Grimaud : « La musique permet d’entrapercevoir l’au-delà »

29 Février 2016 , Rédigé par Jean-Didier VLT Publié dans #Spiritualité - Dossier

La pianiste Hélène Grimaud -

La pianiste Hélène Grimaud -

La pianiste Hélène Grimaud à New York en septembre 2006 - BERNADETTE TUAZON/AP
La pianiste Hélène Grimaud à New York en septembre 2006 - BERNADETTE TUAZON/AP

Quand elle a découvert le piano, à sept ans, « ce fut un éblouissement ». Le sentiment que sa vie ne serait plus jamais la même. Et puis, bien plus tard, il y a eu cette rencontre avec Alawa, une louve croisée en Floride. Une « reconnaissance », dit-elle qui changera encore une fois le cours de son existence. Entretien intime.

Je ne serais pas arrivée là si…
… Si je n’avais pas été constamment portée par l’amour inconditionnel de mes parents. C’est crucial pour avoir confiance en soi, développer son potentiel et ressentirl’espoir. Cela peut paraître cliché, mais je vois tant de personnes qui passent toute une vie à surmonter les obstacles liés à ce manque d’amour inconditionnel dès l’origine. Ce que m’ont apporté mes parents, dans une atmosphère fertile à la découverte, à l’aventure, et pour que s’ouvrent devant moi des horizons aussi vastes que possible, n’a pas de prix. J’ai la chance de les avoir encore tous les deux. Et cet amour continue de me porter comme il le fera après leur départ. Parce que ce qu’ils m’ont donné est tellement fort que ça porte au-delà de la vie et de la mort.

Vous avez pourtant quitté très jeune le nid familial.

Oui, et je crois qu’il y a très peu de parents qui auraient accepté de laisser leur enfant unique s’éloigner ainsi de la maison à 12 ans. Nous habitions le sud de la France, où mes parents étaient enseignants, et je devais partir au conservatoire de musique de Paris. J’ai donc vécu dans différentes familles au fil des ans. Il fallait qu’ils aient une générosité immense et une grande confiance dans leur fille. Je trouve cela remarquable. Je ne suis pas sûre que j’en serais capable si j’avais moi-même des enfants.

Quel type d’enfant étiez-vous ?

Je pense que j’étais fatigante ! En mouvement perpétuel, pleine de feu et de questionnements, physiquement très active.

On parle désormais d’enfants hyperactifs.

Ce terme est associé à une difficulté de concentration sur quelque chose, alors que moi, c’était précisément le contraire : j’étais obsédée par certaines choses, je faisais des fixations et comme un petit pitbull, je ne lâchais pas prise. En même temps, je pouvais facilement m’ennuyer et poser à l’école des questions totalement en dehors du programme, ce qui dérangeait la classe et énervait les professeurs.

Surdouée ?

Je ne crois pas. Certaines aptitudes sont compensées par des manques. C’est le cas de beaucoup d’artistes. Mais ma personnalité parfois double, facilement assaillie par le doute, avec des obsessions et des comportements parfois mystérieux qui auraient pu faire de moi mon pire ennemi était certainement un souci pour mes parents qui espéraient pour moi le meilleur.

Comment ont-ils pensé à vous mettre devant un piano ?

Ils m’ont d’abord proposé toutes sortes d’activités pour canaliser ce trop-plein d’énergie. D’abord le judo, la danse, le tennis. J’étais insatiable, et rien n’a opéré. Ce qui prouve que cette énergie était plus mentale que physique. Et puis soudain, la musique est apparue. Elle a été mon salut. Ma mère a toujours aimé chanter, elle a une très belle voix et cela a certainement eu une grande influence. Mais je n’avais pas de contact avec la musique classique. Jusqu’à ce jour où l’on m’a introduite dans un cours d’éducation musicale pour les tout petits. Ils avaient 3 ou 4 ans, j’en avais 7. Ce fut un éblouissement. A mon père venu me chercher, la responsable du cours a dit : « Je pense qu’elle a une aptitude pour la musique, ce serait bien qu’elle commence avec le piano. » Bien sûr, a répondu mon père. Essayons. Et là…

Vous vous souvenez précisément de ce jour ?

Oh oui ! Ce sont des moments-pivots dans l’existence ! Malgré mes 7 ans, j’ai eu le sentiment que ma vie, d’un coup, basculait. Je ne savais rien de l’avenir. Mais je percevais qu’il y aurait un avant et un après. La musique ferait partie de ma vie pour toujours. C’était scellé.

Il n’y avait alors de place pour rien d’autre ?

Les livres ont été mes premiers amis avant la musique. La bibliothèque de mes parents était une malle à trésors. Un autre pôle aurait pu être les animaux. J’ai toujours été frustrée de ne pas en avoir à la maison, car nous habitions en appartement. Mais voyez ce qu’on doit à des expériences qui paraissent négatives sur l’instant : Je suis convaincue que je n’aurais pas créé le Centre de protection des loups si je n’avais eu, enfant puis adolescente, ce sentiment de manque. Je ne me serais jamais lancée comme ça, corps et âme, dans un projet animal environnemental.

Comment imaginiez-vous votre avenir à l’adolescence ?

J’étais portée par la passion. L’exaltation de la découverte. Je n’avais de cesse que d’apprendre davantage, de tout connaître sur mes sujets. Et puis j’ai toujours été douée pour vivre dans l’instant, c’est pour ça que je m’entends bien avec les animaux. Je ne passe pas de temps à ruminer sur ce qui a eu lieu, ni à me projeter dans l’avenir. Au tout début de ma carrière, on me demandait : où aimeriez-vous être dans dix ans ? Avez-vous des souhaits de partenariat avec des chefs d’orchestre ? En fait, je ne songeais qu’à creuser en moi-même, en tant qu’être humain et en tant qu’artiste. Et peu m’importait le chemin. Je me disais : Dieu saura bien où je serai dans dix ans.

« Dieu saura… » Ce n’est qu’une expression ?

Non ! C’est le reflet d’une croyance. Je ne peux dire aujourd’hui si c’est en Dieu ou autre chose, car l’expression du sacré, je la vois aussi bien dans un arbre ou une œuvre d’art que dans une église. Mais je crois en un au-delà et je recherche la connexion au monde spirituel. La musique permet de l’entrapercevoir et même de le toucher du doigt dans le meilleur des cas. Elle est pure transcendance et replace l’homme dans son humanité la plus noble. Elle répond à l’angoisse de l’avenir en dépassant la mort. Elle rassérène. Et permet de transfigurer le monde d’ici-bas. Parce qu’il faut bien vivre ! Ici. Maintenant. Tout de suite. Parce qu’on n’a pas de vie de rechange. Alors chaque instant doit compter. Etre vécu pleinement. Dans l’échange avec l’autre. En le regardant bien droit dans les yeux. En lui souriant. La compassion et l’empathie sont la plus belle quête d’une existence.

La musique facilite ce lien avec les autres ?

Bien sûr. Et ce sont des moments extraordinaires que ces instants de liberté partagée avec le public, où plus rien ne compte, où l’on prend tous les risques, où l’on remet tout en cause, concentré sur ce qu’on joue mais également sur ce qui se joue dans la salle, conscient d’être passeur d’un monde à l’autre.

C’est alors que peut surgir l’instant magique ?

Le moment où l’on a la sensation que tout s’aligne parfaitement ? Que tout est là, sans aucun compromis, dans l’équilibre le plus parfait ? Il est très très rare. Et heureusement. Parce que si c’était quelque chose qu’on peut reproduire sur schéma, ce ne serait plus de l’art mais de l’artisanat. Il faut avoir l’humilité de l’accepter. C’est difficile à vivre, surtout quand on est perfectionniste. On a tellement envie que ce soit chaque fois comme on sait que ça peut être, que ça doit être. Il faut hélas en faire le deuil. Et toujours recommencer. Se préparer le mieux possible, en aspirant au surgissement de ce quelque chose dont vous n’êtes pas responsable. La visite.

De quoi ? De qui ?

Si je le savais !… Parfois ce peut être le compositeur. Parfois c’est plus universel que ça. Il m’est arrivé de jouer Brahms et d’avoir l’impression qu’il était là. Vraiment. Et je pense que les gens ressentent alors le concert de façon beaucoup plus intense.

Un jour, sur un chemin de Floride, vous croisez le regard d’une louve, Alawa…

Et c’est comme si de l’électricité m’avait traversé le corps. Une rencontre. Une « reconnaissance ». Un de ces moments-pivots de l’existence que j’évoquais plus tôt, où j’ai su que ma vie serait changée pour toujours. Les chances pour qu’une jeune Française se retrouve à cet instant-là à Tallahassee en Floride étaient infimes mais je crois qu’il y a une raison à toute chose, et c’est comme si tout s’était ligué pour que cette rencontre ait lieu et que naisse, plus tard, ce centre de protection des loups que j’ai fondé près de New York. Alawa en a été l’ambassadrice.

Comme les loups de votre centre sont les ambassadeurs de toute l’espèce animale, et au-delà même, de la biodiversité ?

Bien sûr ! Les prédateurs de sommet sont essentiels à la santé de nos écosystèmes. Les sauver signifie donc sauver l’habitat où ils évoluent et la diversité des espèces situées au-dessous d’eux dans la chaîne alimentaire. Mon centre a déjà accueilli des centaines de milliers d’enfants. Pour motiver les gens sur la préservation de la planète, il faut que ça vienne du cœur, c’est toute l’idée du centre. Quand on dit aux gens : « Vous vous comportez comme des animaux. » Cela se veut une insulte alors que je me dis : « You could be so lucky. » Car nous, être humains qui avons des capacités de raison, d’analyse, de création, nous dégradons sauvagement la planète au point de la mettre en danger. Cela me révolte. Et je ne veux pas me résigner. Je veux combattre à ma façon. Par une invitation artistique à une prise de conscience écologique, comme mon dernier album sur le thème de l’eau. Par une participation à un concert pour les droits de l’homme. Par mon soutien à diverses causes. Chacun devrait être sur le qui-vive.

Les menaces de terrorisme ont-elles une incidence sur votre tournée de concerts ?

Non. J’étais il y a peu en tournée avec l’orchestre de chambre de Bâle. Suisse, France, Pologne, Hongrie puis Istanbul, quelques jours après les attentats. Beaucoup de gens ont alors conseillé : annulez le concert, ce serait plus prudent. Et tous, nous avons dit : « Non ! C’est le contraire ! Il faut justement y aller ! Renoncer à cause des attentats serait le début de la fin ! »

Nouvel album : Water, avec Nitin Sawhney (Decca-Deutsche Grammophon)
Dernier livre paru : Retour à Salem (Albin Mi
chel)

Annick Cojean
Journaliste au Monde.fr

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article